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Partir à l'aventure pour mieux se connaître



     Quand j'ai eu 30 ans, une grenade a explosé et avec elle, des remous de plus en plus agités ont commencé à se former. Quelque chose de grand, de fort allait arriver, je le sentais, mais je n'arrivais pas à mettre le doigt dessus. Je n'avais pas encore compris qu'il n'est nul besoin de mettre le doigt sur quoi que ce soit, que l'analyse systématique de tout ne sert à rien d'autre qu'à perdre un temps précieux. 

Je suis partie à Bali dans l'optique de revenir avec quelques clés pour enseigner le yoga. Je suis revenue avec tellement plus ! Au total un mois et demi de formation, mais aussi d'introspection survenue le plus naturellement du monde : lorsque je me suis retrouvée face à moi-même, totalement nue et libre. Et puis cette certitude qui ne me lâche plus... que tout ira bien si je respecte simplement ma vérité, si je l'accepte plutôt que de la laisser m'effrayer. Plus question de reculer maintenant, ou de fermer les yeux devant cette révolution intérieure qui s'est déclenchée. Ne plus la laisser m'échapper.

 

     Je suis née dans une famille catholique française somme toute assez "classique", en ce sens où mes parents se sont rencontrés et mariés jeunes, ont eu 4 enfants, une jolie maison, des amis à proximité. Une vie "stable" à laquelle la société souhaite nous faire aspirer. Mon père est médecin généraliste et je n'ai jamais eu à manquer de rien. Mon enfance s'est déroulée dans les cases qui m'étaient prédestinées, toute ma scolarité en enseignement privé catholique, de nombreuses activités sportives et culturelles. Une enfance heureuse, tranquille et privilégiée pour laquelle je suis reconnaissante. 

Avoir des bonnes notes, aller à la messe, avoir des amis de bonne famille, ne pas trop faire de remous et essayer de savoir ce qu'on veut faire plus tard. J'ai suivi ce "programme" qui pour moi était celui à suivre puisque le seul auquel je pouvais me référer. Mais déjà petite, j'avais en moi enfouie une petite grenade en sommeil. Un désir profond de connaître autre chose que ce monde étroit qui m'entourait, de voir plus loin, de faire les choses différemment peut-être. J'avais des copains mais je me suis toujours sentie un peu à part. Tiraillée entre l'envie d'être comme les autres et celle de rédiger ma propre histoire, de revendiquer ma différence. Mais bien souvent, la peur de l'insécurité, l'angoisse de se retrouver isolé nous assaille et on met ces pensées en veilleuse.

Je me plongeais dans les romans à longueur de temps et puis j'écrivais des histoires. Je m'imaginais vivre une aventure dans un pays lointain, avec pour habitation une cabane en bois près d'un vaste lac, entourée d'herbes hautes et de fleurs sauvages. Je rêvais d'aller étudier en Angleterre ou aux Etats-Unis, de visiter tous les villages de Chine, du Vietnam et de la Thaïlande. Mes parents m'ont transmis ce goût pour le voyage, l'ailleurs, la découverte de l'autre. Quand on voyageait loin, dans un pays dont je ne comprenais pas la langue, j'exultais, je vibrais. Envahie de mille sensations de joie et de peur, tellement vivante ! Je réalisais à quel point le monde était vaste et des fois, je me demandais si je parviendrais à visiter tous les pays de la planète avant de retourner à la terre.

     Puis je suis devenue adulte et je n'ai eu de cesse de faire taire le "tic-tac" de la grenade qui sommeillait dans mes entrailles.

Passer mon bac avec mention, aller à la fac sans trop m'y impliquer, faire une formation de pâtisserie et de cuisine et trouver du travail, vite vite. Ne surtout pas prendre le temps de ne rien faire. Ne pas réfléchir à ce qu'offre le monde à part le monde du travail et les sorties dans les bars le week-end. Gagner de l'argent pour payer mon loyer et mes courses au supermarché. 

Travailler avec des gens que je ne comprends pas, qui ne me ressemblent pas, passer des soirées à boire et rire trop fort pour me réveiller le lendemain avec ce profond manque de je-ne-sais-pas-trop-quoi-en-fait.Cette envie de tout bazarder et de partir, seule. "Tic-tac, tic-tac"

Partir travailler en Angleterre, en Russie, aux Caraïbes. Etre ailleurs mais ne pas vraiment m'y laisser aller finalement. Revenir auprès de ma famille, de ma Normandie natale, pensant que le manque vient peut-être de là. Me sentir retenue, enchaînée, obligée de trop de choses. "Tic-tac, tic-tac".

     Et boum ! La grenade ! Tu peux essayer de la contenir, la mettre en sourdine... il viendra toujours un jour où elle va péter ! A toi de voir ce que tu veux faire avec çà. Prendre peur et courir à l'opposé ou bien encaisser, accepter ce qui vient et construire à partir de là. Pas tout reconstruire, non. Partir de là où tu es déjà, avec tout le bagage que cela implique, et construire le reste de ta vie. Ne plus fermer les yeux devant l'aventure. Ne plus reculer lorsque ton coeur te crie d'avancer ! 

Et surtout, surtout, arrêter de penser qu'il n'y a qu'une manière de vivre sa vie, mais qu'il y en a des milliers. Il suffit juste de trouver quelle histoire on veut écrire...

 

     "Cette transformation de l'aventure originelle - dont chacun est pourvu - en aventure personnelle - que chacun peut faire naître - s'appelle une révolution intérieure. Comme toute révolution, elle est porteuse de risques immenses et de périls non moins grands dont il nécessaire d'acquitter le prix, faute de quoi le but est manqué. Ce prix, il faut le payer en ne s'effrayant de rien car cette révolution oblige à s'exposer quand tout enseigne qu'il faut se protéger ; elle exige le consentement à l'insécurité quand l'air du temps renvoie constamment au principe de précaution ; elle demande constance et courage quand tout pousse à répudier ces valeurs depuis longtemps passées de mode. Mais en échange, cette révolution intérieure procure le plus grand de tous les biens, le plus rare et le plus précieux en ces temps de désenchantement où le monde semble vouloir courir à sa perte : vivre en liberté. Et sans doute est-ce le but ultime poursuivi par toute révolution personnelle par-delà le bonheur de l'adéquation avec soi-même. Ce but rappelle d'ailleurs une chose trop souvent oubliée : il ne peut y avoir de bonheur véritable sans liberté - sinon à quoi bon tout le reste? Ce ne serait que vanité."

Patrice Franceschi, Choisir sa vie

 

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Commentaires: 1
  • #1

    Steph (mercredi, 20 juin 2018 22:26)

    Tout le monde doit sûrement avoir sa goupille prête à sauter
    Il faut juste ne pas essayer de la retenir